DANS LE VISEUR
- Yves Wellens
- 6 sept.
- 4 min de lecture
Trump et le Prix Nobel de la Paix
Jusqu’aux tout derniers instants, avant que le Prix ne soit décerné, les membres de l’Académie norvégienne furent soumis à une pression à peine dissimulée, à un forcing presque insensé, du fait que le candidat avoué, dans un ultime coup de reins, avait encore lancé ses filets sur un autre conflit, cette fois en Asie, pour conclure un ultime deal et se
voir ainsi enfin couronné.
Et puis non.
Le moment même de la proclamation avait eu quelque chose d’étrange. En écoutant le Président du jury Nobel exposer les motifs pour lesquels le Prix avait été décerné à une organisation œcuménique œuvrant pour le rapprochement de belligérants dans un conflit
frontalier de longue durée en Afrique de l’Ouest, les journalistes présents oscillaient manifestement entre le soulagement qu’une forme de raison l’ait emporté, et l’attente des commentaires, forcément injurieux, que ne manquerait pas de lâcher le prétendant auto-
proclamé, qui s’était presque ouvertement désigné comme le seul gagnant possible.
Les faits, cette fois, ne mentaient pas et n’avaient pas d’alternative.
Évidemment, on connaissait d’avance ses paroles, lors d’une conférence de presse incendiaire : c’est une « profonde injustice », il « mérite » ce Prix et « tout le monde le sait ». Ce ne pouvait donc être qu’un « complot » qu’il ne soit pas récompensé.
Imperturbable, impénétrable, refusant de répondre aux questions qui, contrairement à la tradition, fusaient depuis la salle et qu’il prenait manifestement comme une offense à sa dignité et à son intégrité, l’Académicien s’éclipsa, en veillant à ne surtout pas presser le pas.dehors des quelques lignes d’attendus, les délibérations resteraient donc secrètes et inviolables. Mais il n’est pas imprudent d’avancer au moins ceci : le Prix Nobel de la Paix se serait définitivement déconsidéré et aurait vu sa réputation entachée pour très longtemps,
sans doute à jamais, trahissant l’ensemble de ses anciens lauréats, s’il avait été décerné à un histrion comme Donald J. Trump.
Naturellement, cette sorte de très simple raisonnement ne pouvait que lui échapper.
Si, pour attribuer le Prix, l’on avait procédé à quelque « enquête de moralité » en se renseignant sur le prétendant, le verdict aurait déjà été sans appel. Que cet imposteur, ce fumiste, que cet autocrate se targuant d’avoir démantelé les services sociaux et éducatifs de son pays, tout comme les principales agences fédérales de protection de l’environnement et de travaux sur le réchauffement du climat (en limogeant leurs personnels scientifiques), que ce prédateur de terres rares et candidat déclaré à l’achat de pays entiers, que cet homme
d’affaires mélangeant sans s’en dissimuler les affaires de l’État et les profits de son clan, que cet ordonnateur de chasses aux immigrés et aux clandestins sur l’ensemble du territoire, que ce révisionniste ordonnant aux musées fédéraux de réécrire l’histoire récente du pays pour que soient effacées ses turpitudes et autres procédures en destitution, que ce metteur au pas d’institutions culturelles prétendument imbibées de « woke », que cet incurable menteur et tricheur au golf, raciste et suprématiste blanc, que ce destructeur de l’aide humanitaire américaine et pourfendeur des organisations internationales, que ce fossoyeur du multilatéralisme hérité de la seconde guerre mondiale, que ce propagateur de la « loi du plus fort », méprisant ouvertement les règles de droit y compris contre ses supposés partenaires soumis désormais à des droits de douane calculés on ne sait comment mais toujours à sens unique, que cette brute épaisse, que cette sorte de Parrain (Don Trump, en somme), obtenant de ses « partenaires » une obséquiosité absolue en échanged’une protection rien moins qu’aléatoire et ordonnant à sa police de mener des perquisitions vengeresses chez ses ennemis personnels, que ce despote non éclairé se soit figuré pouvoir recevoir ce Prix à la portée universelle en disait long sur son ignorance et son sens marqué de l’irréalité.
À lire tout ceci, la question se pose : Qu’est-ce qui, au fait, n’était pas dans le viseur de Trump ? Et donc, oui, le Prix Nobel de la Paix, lui aussi, était visé. Comme s’il s’était agi de l’emporter dans un braquage à la voiture-bélier.
Il est vrai que des potentats de son calibre avaient fait état de « candidatures spontanées » et lui avaient fait miroiter la timbale, en lui livrant, aux heures de grande audience, copie de la lettre envoyée par leurs soins au Comité Nobel pour appuyer sa candidature, sachant bien qu’un tel élan de flagornerie ne pouvait qu’être bienvenu pour s’attirer ses bonnes grâces. Et en effet, face caméra, Donald J. Trump accueillait ces assauts de civilité exactement comme s’il buvait en direct à la paille un verre de petit-lait.
Et maintenant ? Se pourrait-il que la Norvège fasse l’objet de représailles, voire de « sanctions » pour n’avoir pas désigné le tout désigné vainqueur ? Ou que le siège du Comité soit désormais la cible d’une frappe chirurgicale ? Se pourrait-il que les proches du Président
fomentent une tentative de putsch en retournant l’un ou l’autre membre du Comité, histoire d’avoir des voix acquises à sa cause et d’influer de l’intérieur le cours des choses ? Ou, plus simplement et plus plausiblement, Trump renoncera-t-il à jouer les bons offices, convaincu désormais que la cause est perdue et que cela ne lui « rapporte rien » ?
À cet égard, un très curieux article, non signé, est paru récemment dans l’édition internationale d’un journal japonais. Sans qu’on puisse savoir s’il a été téléguidé par un proche du Comité, l’auteur y lanceune idée qui pourrait faire son chemin : que des hommes d’affaires proches du Président suscitent et financent la création d’un Prix alternatif et annuel, plus richement doté que le Nobel lui-même et qui lui serait d’office attribué chaque année, sous n’importe quel prétexte.
Ce qui, on le conçoit, se trouve aisément.
Waouw, merci, Yves. Cela soulage de te lire ici sur cet objet.